Sur la musique comme art purement sentimental
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Le département Musique de la BnF conserve, dans le fonds de ses manuscrits rédigés en français, deux états d’un même texte intitulé « Sur la musique comme art purement sentimental » (Rés. F 145, un brouillon raturé ; Rés. F 146 un texte relevé au propre). Il s’agit davantage d’un essai philosophique que d’un traité de musique. Ce document, dont la rédaction peut être située entre 1809 et 1813, peu après l’installation d’Antoine (Anton) Reicha à Paris en 1808, est resté inédit jusqu’en 2011. Le Ms F 146 compte 91 pages d’un texte présenté en une colonne avec appel des notes en marge ; 24 pages qui réunissent 72 notes le prolongent. Un troisième manuscrit (Rés. F 147) rassemble une dizaine de planches d’exemples musicaux. Parce que les légendes données à ces exemples témoignent d’une très relative maîtrise du français, il est assuré que le texte principal a été soigneusement relu. La page de titre du Ms 146 signale François Fayolle éditeur de l’ouvrage : c’est donc lui le relecteur, comme il fut aussi le propagateur à Paris de l’art du compositeur tchèque. Fayolle édite en 1814 le Traité de mélodie de Reicha. Or on sait qu’à la chute de l’Empire, ce collaborateur d’Alexandre Choron dut s’installer à Londres où il séjourna jusqu’en 1829. Cela explique peut-être l’abandon du projet que mentionne (p. 60) le Traité de mélodie, tandis que l’essai fait lui-même allusion (p. 28) auTraité.
Sur la musique comme art purement sentimental constitue ainsi un premier long texte en français, finalement « oublié ». Unique dans la production de Reicha pour ses préoccupations d’ordre philosophique, il tient peut-être lieu de transition avec les écrits antérieurs de la période Viennoise (1802-1808), alors rédigés en langue allemande et eux-mêmes longtemps demeurés inédits. Outre le titre, le sous-titre biffé de la page de garde du Ms 146, « avec des remarques philosophiques et critiques sur les opérations morales de notre être », confirme en son vocabulaire le goût de Reicha pour la spéculation.
Dans cet essai l’auteur cherche à sensibiliser les artistes français aux acquis de la sensibilité musicale viennoise qu’il relie à la récente invention par la philosophie allemande de l’esthétique. Le texte, dont le titre en soi est un postulat, repense la nature de l’imitation en musique, de la déclamation et du chant pour l’opéra français, de l’organisation de la mélodie, du statut de la musique instrumentale. Mais à côté de ces remarques parfois encore tributaires de la querelle Gluck/Piccinni, Reicha démontre surtout la supériorité expressive de la première école de Vienne. L’importance de la refondation sociale inaugurée par la révolution, et poursuivie par l’Empire, dicte au musicien des propos sur l’enseignement, la législation de la musique, sa place dans l’éducation du citoyen comme dans l’affirmation du pouvoir. Animé par un certain idéalisme parfois un peu naïf, Reicha réintroduit les musiques populaires, fait l’éloge des musiques militaires et défend un système élargi aux cultures délaissées sous l’ancien régime.
Ce texte aujourd’hui témoigne de la conscience qu’un contemporain pouvait avoir des devenirs de la musique alors que Haydn venait de disparaître, Beethoven traversait une crise, Schubert commençait à composer et qu’à Paris Méhul connaissait tour à tour heurs et malheurs. Paris devient implicitement le laboratoire de l’exaltation des idées, de l’affirmation des audace et de la liberté créatrice.
La psychologie du compositeur, théoricien et pédagogue se manifeste ici sous l’aspect paradoxal d’un mélange de lucidité progressiste et d’inféodation à des convictions, point ultime qui éclaire la portée encore mal évaluée de son enseignement.
Cet essai a été publié en 2011 dans le volume 1 Antoine Reicha, Écrits inédits et oubiés, Hervé Audéon, Alban Ramaut et Herbert Schneider éds, (édition bilingue français/allemand), Hildesheim, Olms.
Alban RAMAUT
03/03/2018
genre | Essai |
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langue | français |
date | 1813 |
description matérielle et bibliographique | Manuscrit du département de la musique de la Bibliothèque nationale de France : -Rés F 145 (brouillon raturé) -Rés F 146 (mise au propre : 91 pages de texte et 24 pages de notes) -Rés F 147 (exemples musicaux) Cet essai a été édité récemment : Antoine Reicha, Écrits inédits et oubiés, tome 1, Hervé Audéon, Alban Ramaut et Herbert Schneider éds, (édition bilingue français/allemand), Hildesheim, Olms, 2011. |
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