Musique, mythe, nature ou les dauphins d'Arion
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Dans cet « essai » - selon ses propres termes -, reprenant les idées développées dans sa thèse de doctorat d’Etat soutenue en 1980, « L’idée de modèle en musique aujourd’hui », François-Bernard Mâche propose « quelques aperçus non conformes aux nouvelles orthodoxies qui ont pris depuis environ vingt ans le relai des théories classiques définitivement essoufflées » (p. 3, 1ère éd.). Dans des termes parfois polémiques dans la première édition (mais dont la virulence est atténuée dans les suivantes), l’auteur expose les fondements théoriques de sa pratique musicale. Prônant une approche convergente de démarches intellectuelles diversifiées, conjuguant sciences humaines et du vivant et outrepassant un propos purement musical, il remet en cause l’orientation culturaliste anthropocentrée des sciences humaines des années 1970-1980, en démontrant l’existence de pratiques culturelles animales et leurs points de convergence avec celles des humains. Ses avancées ouvrent la voie à de nouveaux domaines comme la zoomusicologie (intitulé d’un de ses chapitres) ou l’étude neurobiologique des processus créateurs.
À travers cinq chapitres (« La musique dans le mythe », « Universalité des modèles sonores », « Langage et musique », « Zoomusicologie », « Le modèle en musique »), Mâche approfondit progressivement sa réflexion sur les structures profondes de l’imaginaire et de la création musicale qui légitiment son projet esthétique visant in fine à la mise en œuvre créatrice de la notion de modèle.
Constatant la récurrence de « mythèmes » dans différentes mythologies, il voit dans les mythes des « images naturelles » (p. 11) issues d’un inconscient collectif dont l’expression se décline selon les diversités culturelles. Pour Mâche, la création musicale est issue « d’un même fonctionnement spontané de l’esprit humain » (p. 19) que le mythe. De cette spontanéité, il déduit l’existence d’universaux mythiques et musicaux et pose l’hypothèse d’une origine neurophysiologique de cette activité, qui remette en question les rapports, alors considérés comme étanches, entre nature et culture.
S’interrogeant sur les parentés entre langage et musique, Mâche évoque son utilisation du modèle linguistique dans une œuvre comme Safous Mélè et ses tentatives de musicologie structurale pour en conclure que s’il existe bien un paradigme commun au langage et à la musique, cette dernière, par son champ sémantique illimité, englobe la parole. Pour lui, la musique occidentale, dans son histoire, y compris dans ses plus récents développements, est marquée par une surévaluation du signe, inapte à rendre compte de la richesse de la réalité sonore actuelle.
C’est dans le chapitre « Zoomusicologie » que Mâche va démontrer le dépassement des frontières entre naturel et culturel. Il y analyse des chants d’oiseaux avec une méthode de segmentation inspirée de la linguistique structurale et en dégage l’existence d’une réelle pratique artistique, qui ne peut être réduite à de simples impératifs biologiques de communication. Comparant les pratiques d’organisation des éléments sonores par les oiseaux à des exemples tirés du répertoire occidental (Debussy, Stravinsky), il affirme l’universalité du jeu de l’invention musicale dans le monde vivant, invention issue tant de mécanismes innés que de constructions relevant du culturel.
C’est dans cette perspective que Mâche revendique son utilisation de modèles sonores, non par imitation plaquée, mais en renouant avec les données naturelles de l’invention. La nature, pour lui, ne recouvre pas seulement la « sonosphère externe » (p. 113), mais est aussi le principe de « législation interne », principe auquel il aspire à remonter « à partir du contact sensoriel avec les phénomènes » (p. 114). Pour lui, la musique est « appréhension du monde » et le travail avec le modèle sonore permet de mettre en résonance monde réel et pratique artistique, selon des rapports de métonymie ou de métaphore.
L’intérêt suscité par cet ouvrage a amené l’auteur à en proposer en 1991 une deuxième édition, revue (avec en particulier la suppression des passages les plus polémiques à l’égard du sérialisme) et remise à jour en fonction de développements musicaux récents ; puis une troisième, en 2015, avec l’ajout d’un CD d’exemples musicaux. L’édition de 1991 a fait l’objet de traductions en italien et en anglais.
Outre ses articles, François-Bernard Mâche poursuivra ses réflexions sur ce sujet dans Musique au singulier (2001).
Anne-Sylvie BARTHEL-CALVET
04/06/2018
Pour aller plus loin
Recensions:
- Pierre-Albert Castanet, "Quatre écrits de compositeurs – Boucourechliev, Dufourt, Mâche, Manoury", Les Cahiers du CIREM, n° 18-19, décembre 1989-mars 1990, p. 159-160.
- Rodger Reynolds, "Seeking Centers", Perspectives of New Music, vol. 32, n°2, 1994, p. 272-291.
genre | Essai |
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éditeur | Klincksieck |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1983 |
nombre de pages | 138 |
langue originale | français |
traductions | |
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