Cours de composition musicale ou traité complet et raisonné d'harmonie pratique
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Au moment où Reicha se présente au poste de professeur de contrepoint et fugue du Conservatoire de Paris (1818), son Cours de composition musicale ou traité complet et raisonné d’harmonie pratique, alors sous presse, constitue pour lui autant un atout qu’une faiblesse. Dans sa lettre de candidature, le compositeur décrit l’ouvrage comme étant le « fruit de 30 ans de méditation et de recherche », mais se sent également obligé de se défendre contre « certaines attaques […] dirigées sur [sa] manière d’enseigner ». De fait, le projet du Cours de composition musicale est aussi ambitieux que peu conventionnel : Reicha entend en effet former l’élève à l'harmonie, bien sûr, mais aussi à la composition. C’est ainsi que l'ouvrage se conclut de manière tout à fait originale par une section sur la « manière de traiter l’harmonie avec l’orchestre », ouvrant la voie aux traités de Kastner (Traité général d’instrumentation, 1839) et Berlioz (Grand Traité d’Instrumentation et d’Orchestration Modernes, 1844), tous deux élèves du pédagogue. Grâce à l’enseignement de « l’harmonie pratique », Reicha prétend renouveler à la fois la pédagogie et le contenu théorique des traités d’harmonie anciens, qu’il veut adapter à la « musique moderne » (préface, I). L’ouvrage semble aussi s’opposer à des points clefs du Traité d’harmonie de Catel (1801), méthode officielle du Conservatoire, ce qui lui vaut les vives critiques d’un Fétis (« Reicha», Biographie universelle des musiciens).
Le Cours de composition musicale est divisé en trois parties, dont l’organisation interne, faite d’anticipations et de retours, n’est pas toujours aisée à saisir. La première partie aborde de manière attendue les intervalles, les renversements et enchaînements d’accords, les cadences, la conduite de la basse ou encore les mouvements des parties et les marches harmoniques. La deuxième partie revient sur des points abordés dans la première (résolution des accords, cadences, enchaînement des accords), mais s’intéresse aussi aux notes étrangères à l’harmonie. La troisième partie traite tout d’abord du contrepoint à 2, 3 et 4 voix et se conclut par des considérations sur le traitement de l’harmonie à l’orchestre.
D’un point de vue théorique, le Cours de composition de Reicha se distingue du Traité d’harmonie de Catel sur deux des points qui ont cristallisé les querelles théoriques en France au début du XIXe siècle : la typologie et la génération des accords, ainsi que la théorie de la basse fondamentale. À rebours de Rameau, Catel revenait en effet au contrepoint pour expliquer la génération et l’enchaînement des accords. Se situant dans une visée tout à fait pragmatique, Reicha se contente quant à lui de dresser une table de 13 accords divisés en « fondamentaux » et « altérés » (première partie, p. 8), qu’il envisage comme autant d’entités verticales autonomes (on trouve dans cette table un classement des accords de septièmes en « espèces », peut-être à l’origine de la terminologie toujours en vigueur aujourd’hui en France). Mais, plus que la question de la génération des accords, c’est celle de la théorie ramiste de la basse fondamentale – que Fétis décrit comme un « système monstrueux » – qui distingue le Cours de composition musicale de Reicha. Alors que Catel se contentait d’indiquer que les accords peuvent progresser indifféremment par seconde, tierce ou quinte, Reicha remet à l’ordre du jour la question des progressions harmoniques par des enchaînements réguliers de la basse fondamentale (p. 21). Reprenant implicitement des principes formulés par Rameau dès le Traité de l'harmonie (p. 49-51), le compositeur indique ainsi que les notes fondamentales des accords doivent s’enchaîner de préférence par mouvements de quintes et tierces, la seconde n’étant tolérée que de manière exceptionnelle.
Le Cours de composition musicale se distingue enfin par une pédagogie reposant sur une profusion d’exemples musicaux, composés – autre trait original – par Reicha lui-même (préface, I). La troisième partie comporte ainsi pas moins de 50 exemples de marches harmoniques écrites dans des figurations pianistiques très variées. Les cahiers d’élèves de Reicha conservés (César Franck, Léonie Boursault-Kastner, par exemple) témoignent du caractère effectif de cette pédagogie qui met les élèves en prise avec les infinies possibilités de la composition musicale tout en formant une sorte de répertoire dans lequel il est possible de piocher. L’abondance d’exemples musicaux qui caractérisent le Cours pourraient expliquer le grand nombre d’instrumentistes de l’établissement à s’être dirigés vers la classe de contrepoint et fugue de Reicha plutôt que vers celle de Fétis.
Louise BERNARD DE RAYMOND
10/12/2020
Pour aller plus loin
Bernard de Raymond, Louise, Bartoli, Jean-Pierre, Schneider, Herbert (éds.), Antoine Reicha, Compositeur et théoricien, Hildesheim, Zürich, New-York, Olms, 2015.
Bernard de Raymond, Louise, « Une jeune fille apprend l’harmonie vers 1835 : les leçons particulières de Reicha en haute définition », Antoine Reicha and the Making of the Nineteenth-Century Composer, Fabio Morabito, Louise Bernard de Raymond (éds), Bologne, Ut Orpheus, à paraître.
Christensen, Tomas, « Reicha’s Cours de composition musicale: a Textbook for the New Century », Antoine Reicha and the Making of the Nineteenth-Century Composer, Fabio Morabito, Louise Bernard de Raymond (éds), Bologne, Ut Orpheus, 2021.
Fétis, François-Joseph, « Reicha », Biographie universelle des musiciens, Paris, Firmin Didot, vol. vii, 2e édition,1866, p. 202-206.
Groth, Renate, Die französische Kompositionslehre des 19. Jahrhunderts. Archiv für Musikwissenschaft, vol. xxii, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1983, p. 41-45.
Jardin, Etienne, « Des chemins d’élèves pour dessiner la voie d’un professeur au Conservatoire », Antoine Reicha and the Making of the Nineteenth-Century Composer, Fabio Morabito, Louise Bernard de Raymond (éds), Bologne, Ut Orpheus, à paraître.
Meeùs, Nicolas, « Théorie de l’harmonie », Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, J.-M. Fauquet (éd.), Paris, Fayard, 2003, p. 1211.
Rameau, Jean-Philippe, Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, Paris, Ballard, 1722.
Reicha Antoine, Lettre au comte de Pradel, sd. F-Pan [O/3/1800.
éditions numérisées | |
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genre | Traité |
éditeur | Gambaro |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1818 |
nombre de pages | 269 |
langue originale | français |
compositeur |