Henri Duparc (1848-1933)
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Henri Duparc (1848-1933) a laissé peu d’œuvres musicales, et moins encore d’écrits publics. Autocritique au point de détruire plusieurs de ses manuscrits – dont celui de son unique opéra, Roussalka, dont il avait écrit lui-même le livret –, il était par ailleurs affecté par d’importants problèmes de santé qui, dès les années 1880, lui rendaient tout travail de création ou de rédaction extrêmement difficile. Outre quelques articles parus dans la presse (et rédigés pour la plupart avec l’aide d’un tiers), sa production littéraire se compose pour l’essentiel d’une vaste correspondance qui constitue une voie d’accès exceptionnelle à son univers créateur, ainsi qu’à des réflexions esthétiques qui transcendent largement les frontières de son œuvre.
Les quelques textes publiés par Duparc dans la presse musicale ou culturelle découlent tous de sollicitations extérieures. Il s’agit tout d’abord de participations à des enquêtes, genre journalistique très en vogue à l’époque : en 1904 et en 1912, il participe ainsi à deux enquêtes sur la musique française menées, respectivement, par Paul Landormy dans La Revue bleue et par Pierre Montamet dans Excelsior, et en 1913, il répond à une enquête sur Verdi dans le cadre d’un numéro spécial de Musica.
Deux articles plus développés résultent par ailleurs de commandes ou de demandes d’information adressées à Duparc. Pour souligner le quarantième anniversaire de la Société nationale de musique (dont Duparc faisait partie des membres fondateurs), Jules Écorcheville lui commande en 1911 un article de souvenirs sur les débuts de la SNM, par l’intermédiaire du chef d’orchestre et musicographe Ernest Ansermet qui se charge de mettre le texte par écrit à partir d’entretiens avec Duparc. Le résultat est publié à la fin de l’année 1912 dans la Revue musicale S.I.M., sans mention de la collaboration d’Ansermet (attestée par la correspondance de Duparc). En 1922, Julien Tiersot sollicite les souvenirs de Duparc sur les activités de son professeur César Franck pendant le siège de Paris; Duparc lui répond par une lettre dont Tiersot publie un long extrait dans la Revue musicale.
Outre la révérence profonde que Duparc entretenait à l’égard de Franck (lequel représentait à ses yeux l’idéal suprême d’un compositeur dont la musique vient du cœur), on voit transparaître à travers ces différentes publications quelques éléments importants de son esthétique. Nationaliste convaincu sur le plan politique, Duparc ne s’intéressait pas le moins du monde aux écoles nationales dès lors qu’il était question de musique ; pour lui, l’art devait évoluer dans un espace de liberté dégagé de toute forme d’étiquette.
Ces idées sont développées beaucoup plus avant dans les écrits personnels de Duparc, lesquels représentent l’essentiel de sa production littéraire. S’il n’a pas laissé de traité théorique, il a néanmoins régulièrement mis sur papier ses réflexions esthétiques, notamment dans ses « Notes intimes » dont plusieurs extraits ont été publiés par Charles Oulmont dans un article et un ouvrage de 1935 (juste avant l’incendie du château de Mondégourat, propriété de la famille Duparc, dans lequel le manuscrit autographe de ces notes a disparu). En outre, Duparc envoyait parfois des ébauches de textes théoriques à certains de ses correspondants ; c’est le cas par exemple de ses « Notes sur le drame musical », jointes à une lettre d’avril 1920 à Jean Cras.
De façon générale, c’est dans ses lettres que Duparc a développé les réflexions esthétiques les plus approfondies. Du début des années 1870 au milieu des années 1920, il a entretenu une abondante correspondance avec des compositeurs comme César Franck, Gabriel Fauré, Ernest Chausson, Vincent d’Indy, Auguste Sérieyx et Charles Bordes ; des interprètes comme Ansermet, le pianiste Francis Planté et le marchand de vin et professeur de chant Paul Charriol ; et des écrivains comme Francis Jammes et Charles de Bordeu. Cette riche correspondance a été partiellement publiée – toujours à sens unique, les lettres reçues par Duparc ayant été détruites dans l’incendie de 1935. Près de 350 missives de la main de Duparc sont ainsi accessibles. De nombreuses lettres sont cependant encore inédites ; plusieurs peuvent être consultées à la Bibliothèque nationale de France, mais la plupart sont conservées dans des archives privées (voir Stricker 1961, p. 99-100, et van der Elst 1972, p. 412-413).
Dans ses lettres, Duparc évoque bien entendu ses propres œuvres : il décrit un processus créateur qui devient de plus en plus laborieux à mesure que son état de santé se détériore, évoque ses idées sur la dramaturgie ou la prosodie musicales (qu’il souhaitait aussi naturelles que possible), et sollicite l’aide de Sérieyx ou d’Ansermet pour relire les épreuves de ses partitions lorsque sa vue déclinante ne lui permet plus de le faire lui-même. Surtout, il accorde une très grande attention aux œuvres que lui envoient ses correspondants, et qu’il prend le temps de commenter très en détail ; c’est le cas en particulier de celles de Chausson, proche ami qu’il conseille avec diligence dans la genèse de son opéra Le Roi Arthus ; de Cras, officier de marine et compositeur en apprentissage auprès de qui il joue le rôle de mentor ; et, dans le domaine littéraire, de Jammes dont il analyse avec une passion évidente toutes les publications qui parviennent jusqu’à lui.
À travers l’ensemble des écrits de Duparc – publics comme privés –, on voit émerger les contours d’une esthétique musicale éminemment romantique, dans laquelle la recherche d’expression va de pair avec une ardente soif d’indépendance. Pour lui, il était primordial de n’appartenir à aucune école ; par ailleurs, la reconnaissance publique n’avait aucune importance à ses yeux. Cette posture est éloquemment exprimée dans l’un des passages de ses « Notes intimes » publiés par Oulmont : « Pour l’artiste raisonnable et sincère, la pleine liberté artistique commence au mépris de l’opinion : la seule chose désirable est le suffrage de quelques âmes qui, dans ce qu’elle a écrit, cherchent son âme » (Mercure de France, 15 mars 1935, p. 479).
Marie-Hélène BENOIT-OTIS
18/01/2023
Pour aller plus loin
Duparc, Henri. « Des lettres d’Henri Duparc à Charles Bordes », Les échos de l’École César Franck, vol. 4, no 3, février-mars 1938, p. 33-36.
Duparc, Henri. Une amitié mystique révélée par ses lettres à Francis Jammes, à Charles de Bordeu et à sa filleule, suivi de la prière de tous les jours après la communion, notes et préface de Guy Ferchault, Paris, Mercure de France, 1944.
Duparc, Henri. Lettres à Auguste Sérieyx, dans Vincent d’Indy, Henri Duparc et Albert Roussel, Lettres à Auguste Sérieyx, recueillies et publiées par Marie-Louise Sérieyx, Lausanne/Paris, Editions du Cervin/Librairie E. Ploix, 1961, p. 34-55.
Duparc, Henri. « Lettres d’Henri Duparc à Ernest Ansermet (1911-1917) », dans Claude Tappolet, Lettres de compositeurs français à Ernest Ansermet (1911–1960), Genève, Georg, 1988, p. 27-112.
Duparc, Henri. Lettres à Jean Cras « le fils de mon âme », présentées et annotées par Stéphane Topakian, Lyon, Symétrie/Palazetto Bru Zane, 2009.
Duparc, Henri. Lettres à Paul Charriol, dans Alice Heregger, « Je vis dans le regret de ce que je n’ai pas fait, sans m’occuper du peu que j’ai fait ». Henri Duparcs “Mélodies”: Quellenstudien und Analyse, thèse de doctorat, Universität für Musik und darstellende Kunst Graz, 2010, p. 53-137 et 471-472.
Duparc, Henri. « Lettres d’Henri Duparc à Ernest Chausson », dans Marie-Hélène Benoit-Otis, Ernest Chausson, Le Roi Arthus et l’opéra wagnérien en France, Francfort, Peter Lang, 2012, p. 199-229.
Fabre, Michel. « Une amitié d’artistes : Lettres d’Henri Duparc à Francis Planté », Revue régionaliste des Pyrénées, no 205-206, janvier-juin 1975, p. 36-60.
Gérard, Yves. « Lettres de Henri Duparc à Ernest Chausson (1883-1899) », Revue de musicologie, vol. 38, no 114, décembre 1956, p. 125-146.
Oulmont, Charles, « Henri Duparc : Textes inédits », Mercure de France, 15 mars 1935, p. 476-491.
Oulmont, Charles. Musique de l’amour, vol. 2 : Henri Duparc ou de L’Invitation au voyage à la vie éternelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1935.
Stricker, Rémy. Henri Duparc et ses mélodies, Paris, 1961.
Van der Elst, Nancy. Henri Duparc : L’homme et l’œuvre, thèse de doctorat, Université de Paris-Sorbonne, 1972.
prénom | Henri |
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nom | Duparc |
année de naissance | 1848 |
année de décès | 1933 |
identique à | http://data.bnf.fr/13893514/henri_duparc/ |