Salvatore Sciarrino (1947)
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Salvatore Sciarrino (Palerme, 1947) a progressivement constitué un corpus d’écrits tout au long de sa carrière de compositeur. D’abord limitée aux courtes notes de programme qui accompagnaient ses œuvres dès le début des années 1960, ce n’est que vers la fin des années 1970 et puis, de manière plus intense, dès les années 1980, que sa pratique d’écriture de textes – notes de programme, textes de conférences, essais esthétiques, autobiographies, correspondances, notes de cours, cahiers de notes, livrets de disques… – s’intensifie et représente dès lors une partie conséquente de sa poétique.
La trentaine de cahiers manuscrits conservés dans les archives du Fonds Sciarrino à la Fondation Paul Sacher de Bâle contient un nombre considérable d’annotations, d’esquisses, de textes repris et travaillés parfois dans plusieurs cahiers différents. Exemple typique de sa pratique de la réécriture – jusqu’au détail d’une virgule déplacée –, son texte Origine delle idee sottili (daté de 1984) [Origine des idées subtiles. Réflexions sur la composition, traduit par Laurent Feneyrou et Grazia Giacco en 2012] a été conçu par un long travail de retranscription de ses cours, au fil de reprises successives. Dans la Postface de cette édition (p. 65-69), le lecteur pourra retracer la conception de ce travail d’écriture singulier : Origine des idées subtiles est l’un des rares textes de Sciarrino à être organisé en paragraphes numérotés (au nombre de vingt-trois dans l’édition de Carte da suono et dans l’édition traduite en français). Il s’agit d’un texte qui a pris forme à partir de la retranscription fidèle d’enregistrements captés lors d’un séminaire de composition. L’ensemble de ces esquisses, regroupées en une cinquantaine de paragraphes, a été soumis par le compositeur à un long travail de réécriture, réélaboration, fusion entre paragraphes, assemblages d’extraits, jusqu’à la version finale en vingt-trois points. Ce long texte synthétise l’approche esthétique du compositeur : les problématiques compositionnelles, l’inquiétude de l’artiste, l’écoute, l’acte de composer sont parmi les noyaux conceptuels autour desquels se déploie la parole écrite. Au-delà d’une volonté théorique affirmée, Sciarrino confie dans l’ensemble de ses écrits ses réflexions sur la nature du son, de l’espace écologique de l’écoute, du rapport à la création et à la transmission : l’une des principales préoccupations du compositeur reste en effet sa participation à une réflexion éthique sur notre rapport au monde. Dans l’article publié en 2001 dans la revue Musica Domani, « La forza creativa dell’esperienza educativa » (La force créative de l’expérience éducative), Sciarrino réaffirme sa posture de compositeur sensible à l’importance d’un engagement pédagogique dans le sens d’une transmission de clés, de modèles archétypaux (dans la musique, dans les arts et jusque dans la nature organique), qui permettent une proximité fertile avec l’organisation formelle de la matière sonore. L’ouvrage Le Figure della musica publié quelques années auparavant, en 1998, était fondé sur la transversalité des critères d’organisation de la forme musicale (cf. infra), en abordant les questions relatives à l’apprentissage de la forme musicale et à ce que Sciarrino appelle les « structures de la perception » (Giacco, 2001 ; 2013).
Des dessins ou croquis (souvent figuratifs), des diagrammes de compositions en cours, remplissent les journaux personnels du compositeur et constituent un contrepoint visuel à sa parole écrite. Ces cahiers – Skizzenbücher, Fondation Paul Sacher (PSS), Bâle – constituent une base importante pour la recherche concernant sa production théorique, néanmoins ils ne sont pas les seules sources à disposition : Sciarrino fournit depuis presque un demi-siècle une quantité inépuisable de textes – préfaces, notes de programme, écrits sur des artistes, entretiens, notes de cours, essais, livrets pour le théâtre musical (Giuliani, 1999). Ce n’est que progressivement donc que le compositeur a muri une volonté de synthétiser son travail théorique, tardivement formalisé en 2001 dans son recueil Carte da suono. Ses écrits peuvent être regroupés en trois grandes catégories : écrits sur les œuvres, écrits à caractère esthétique et écrits sur la pédagogie (Giacco, 2013).
Il reste également nombre de textes non réunis à ce jour dans un volume, malgré le fait que la production d’écrits d’avant 1980 contient déjà une dimension théorique qui s’affirmera dans la production écrite postérieure. Citons parmi ces textes : « Sonata da camera »(1971), programme de concert, Nuova Consonanza, Rome, 31 octobre 1971 ; « Introduzione e Aria "Ancora il duplice" », programme de concert, La Biennale di Venezia, 29 octobre 1976 ; « Di una musica d’oggi », Rassegna annuale di studi musicologici, 33 (1979) ; « L’isola silenziosa », note de programme pour Un’immagine di Arpocrate, Donaueschinger Musiktage, 19 octobre 1979 ; « Flos florum ovvero Le Transformazioni della materia sonora », Spirali, II (1980, p. 11-12).
La production écrite de Sciarrino l’accompagne depuis ses débuts, même si entre 1960 et 1970, les écrits restent épars. Ce ne sera que beaucoup plus tard, en 1998, que Sciarrino publiera le contenu de séminaires donnés à Milan et à Rome entre 1994 et 1995 dans l’ouvrage Le Figure della musica (Sciarrino, 1998) et donnera aux lecteurs la possibilité de pouvoir entrer dans son espace théorique et esthétique. Articulé en cinq parties – autour des processus d’accumulation, de multiplication, du Little Bang, des transformations génétiques, et enfin de la forme-à-fenêtres – l’ouvrage est accompagné de deux CDs (extraits audio) et d’un corpus iconographique conséquent. Il s’agit de l’une des meilleures expressions de la poétique du compositeur sicilien marquée par une approche transdisciplinaire. Son style écrit est désormais affiné et caractérisé par une écriture où la pensée tisse des liens entre des concepts éloignés, faisant émerger un style empreint d’une oralité savante – aucune note de bas de page et seulement de rares références bibliographiques. Quelques années plus tard, Sciarrino publie en 2001 un recueil officiel de ses écrits entre 1981 et 2001. Dans cette publication, il exclut volontairement les écrits élaborés avant les années 1980. Dans notre article co-écrit avec le chef d’orchestre Marco Angius (Giacco et Angius, 2013), « Les écrits de Salvatore Sciarrino (1981-2001) », nous analysons la nature de la production écrite du compositeur et avançons certaines hypothèses concernant le choix qui a été le sien d’exclure une large partie de sa production initiale pour ce recueil articulé en sept sections : Leçons ; Notes de théâtre ; Notes de programme ; Articles ; Écrits sur des artistes ; Notes ; Livrets d’opéras.
Sciarrino a forgé au fil des années un style d’écriture très raffiné et très personnel, où souvent dans un même texte se mélangent plusieurs sujets (je, tu, nous…). Dans ses écrits, le compositeur nous ouvre les portes de son atelier, nous fait asseoir à sa table de composition, parfois il prend davantage une posture pédagogique et pousse les limites de nos propres croyances. Les écrits de Sciarrino affichent volontiers une voix qui exhorte à nous interroger, à nous déstabiliser, et à être sensibles au pouvoir créatif de l’imagination artistique.
Grazia GIACCO
10/09/2018
Pour aller plus loin
Feneyrou, L. (éd.) (2013). Silences de l’oracle. Autour de l'œuvre de Salvatore Sciarrino. Paris, CDMC - Centre de Documentation de Musique Contemporaine.
Giacco, G. (2013a). « Salvatore Sciarrino : entre mécanismes de la pensée et écologie de l’écoute ». Dans N. Donin et L. Feneyrou (dir.), Composition et théorie au XXe siècle (p. 1729-1746). Lyon : Symétrie.
- (2013b). …un cielo notturno dalle bianche veloci nuvolette… : Sciarrino et ses lieux d’écoute. Dans L. Feneyrou (dir.), Silences de l’oracle. Autour de l’oeuvre de Salvatore Sciarrino (p. 19-25). Paris : Centre de Documentation de la Musique Contemporaine.
- (2013c). « Les écrits de Salvatore Sciarrino (1981-2001) » (co-écrit avec Marco Angius). Dans M. Duchesneau, V. Dufour et M.-H. Benoit-Otis (dir.), Écrits de compositeurs : Une autorité en questions (XIXe et XXe siècles) (p. 217-228). Paris : Vrin.
- (2008). Le théâtre musical de Salvatore Sciarrino, de Vanitas à Macbeth. Autour d’une dramaturgie intime. Dissonance / Dissonanz (102), 20-25.
- (2001). La notion de « figure » chez Salvatore Sciarrino. Paris : L’Harmattan, collection Univers Musical (176 p.).
- (2000). Entre l’espace et le temps. Les figures de Sciarrino / Zwischen Raum und Zeit – Zu den “ Figuren ” von Salvatore Sciarrino (trad. de P. Müller). Dissonance /Dissonanz, (65), 20-25.
Giuliani, R. (1999). Salvatore Sciarrino. Catalogo delle opere. Musiche e scritti. Discografia. Nastrografia. Videografia. Bibliografia. Milan : Ricordi.
Sciarrino, S. (2012). Origine des idées subtiles – Réflexions sur la composition, traduction du texte du compositeur Salvatore Sciarrino [Origine delle idee sottili], en collaboration avec Laurent Feneyrou. Portrait de Laurent Feneyrou. Postface de Grazia Giacco. Paris : L’Itinéraire, 74 p.
- (2001). Carte da suono (1981-2001), sous la direction de Dario Oliveri, introduction de Gianfranco Vinay. Palerme : Novecento/Rome : CIDIM.
- (2001). La forza creativa dell’esperienza educativa. Musica Domani, (118), 30-32.
- (1998). Le Figure della Musica. Da Beethoven a oggi. Milan : Ricordi (avec deux Cds d’extraits audio).
- Bibliographie sur le site de Salvatore Sciarrino : http://salvatoresciarrino.eu/php/ita/bibliography.html
prénom | Salvatore |
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nom | Sciarrino |
année de naissance | 1947 |
identique à | https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb13925219q |
Publications (10)
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Chapitre d'ouvrage Salvatore Sciarrino (1947) - "Origine delle idee sottili" - 2001