Jean-Claude Eloy (1938)
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Jean-Claude Eloy occupe une place tout à fait singulière dans le paysage de la création musicale en France ; après avoir été considéré comme une des personnalités les plus prometteuses de la génération qui a suivi celle de Boulez, Stockhausen, Berio…, il s’est retrouvé assez rapidement marginalisé par les institutions de l’ « avant-garde officielle », en raison de choix esthétiques qui se distanciaient fortement des courants dominants de l’époque et de leurs mots d’ordre hérités notamment du sérialisme.
Désormais délibérément à l’écart des préoccupations des compositeurs de sa génération, Eloy se voit ainsi contraint de créer sa propre maison d’édition, « Hors territoires » (suivie du site web www.hors-territoires.com), pour faire connaître sa musique à travers textes et Cds. Comme il l’écrit dans un courrier qu’il m’a récemment adressé :
« J'ai fait cet effort de publication d'abord pour les étudiants, professeurs... qui étaient placés devant le vide et la désinformation organisée autour de ma musique, et venant de milieux avec lesquels j'avais été en relation depuis toujours : les milieux de la musique dite “contemporaine”, de plus en plus institutionnalisés et figés, en France comme en Europe. À l'exception de Stockhausen, très fidèle en amitié, qui m’a expliqué qu'il était victime des mêmes préjugés, et m'a prouvé, dès le début des années 90, que lui aussi était obligé de passer à l'autoproduction en s'appuyant sur ses propres forces. Mais il avait déjà acquis une place majeure dans l'histoire de la musique, et pour cela était incontournable, malgré les critiques et oppositions officielles variées ! Pour moi, cette équation était infiniment plus difficile à résoudre... Stockhausen, qui venait de me faire obtenir une commande au studio du WDR (Erkos) n'avait pas hésité à me dire chez lui, en 1991, qu'il était inquiet pour mon futur : “Tu vas voir... Les oppositions sont majeures... tu ne vas plus rien trouver à faire, nulle part !”. J'avais encore la bourse de la DAAD à Berlin pour 1992, et pensais que peut être Stockhausen se trompait... J'ai été obligé d'admettre qu'il avait raison !
À partir de 2004, des liens nouveaux se sont noués spontanément avec toute une génération nettement plus jeune (en France, Kasper Töplitz et d'autres, comme Zbigniew Karkowski ; en Allemagne et Italie, avec le musicologue Leopoldo Siano et quelques autres ; en Chine, avec mon ancien élève de Taipei Dajuin Yao, etc...). Tous ces jeunes m'ont encouragé à publier par moi-même. C'est un gros effort. D'autant plus que j'ai été obligé de pratiquement tout faire (images, textes, master sonore) afin de diminuer les coûts. Mais sur ce plan, les technologies modernes apportent une aide considérable ».
À partir de 2006, Eloy a donc rassemblé ses écrits sous la forme de volumes bilingues (français, anglais) qui comprennent des documents d’archive, photographies et notices sur les œuvres présentées, des fiches techniques et guides d’écoute, des informations étayées sur les données structurelles propres à chaque œuvre, ainsi que, dans chacun, des entretiens avec Avaera.
Un premier volume, Entre concret et abstrait, est centré sur Gaku-no-Michi (les Voies de la musique), une œuvre composée en 1978. Il y est question de sa conception très personnelle des moyens électro-acoustiques, combinant sources électroniques et concrètes, qu’il a mis en œuvre au studio de la NHK à Tokyo.
Le volume suivant est consacré à Yo-In (Réverbérations) (1980) et a pour titre Du littéral et de l’oral. Yo-In a connu trois versions successives, la troisième datant de 2007 ; chacune est analysée de manière très conséquente et circonstanciée.
Un autre volume, The Path towards the Clear Voice or Recognition of Acoustic Identities, concerne principalement deux œuvres, Approaching the Meditative Flames (1983, rév. 1999) et Anâhata (1986, rév. 1999). Eloy explique en particulier de quelle manière il a incorporé les voix de moines bouddhistes qui pratiquent la technique du Shômyô, ainsi que des instruments traditionnels japonais.
Publié en 2012, le livre Normalisations collectives et processus d’individuation traite de quelques œuvres avec voix solistes de femmes, Chants pour l’autre moitié du ciel, plus précisément Butsumyôe (1989) Sappho ikètis (1989) Erkos (1990-91), Galaxies (1986-94), Gaia-Songs (1992, rév. 2015). Les partitions vocales d’Eloy témoignent d’une exceptionnelle complicité avec ses interprètes, en particulier Fatima Miranda et Yumi Nara, dont les qualités musicales très inhabituelles ont été déterminantes pour la conception de telles œuvres.
Outre ces textes, Eloy a publié divers articles. Deux textes inédits, directement liés à son amitié avec Stockhausen, offrent un point de vue particulièrement intéressant sur les deux compositeurs. En 1969, Eloy réalise pour les Cahiers du cinéma un entretien avec Stockhausen en compagnie de Jacques Aumont, professeur d’esthétique de l’image, du cinéaste Jacques Rivette et de Mary Bauermeister, plasticienne et deuxième épouse du compositeur. Outre des considérations sur plusieurs de ses œuvres de l’époque et ce qui les différencie de ses œuvres antérieures, Stockhausen s’exprime sur son rapport aux arts visuels et au cinéma, avant de s’engager dans une réflexion plus globale sur la portée spirituelle de sa démarche (il était alors particulièrement sensible à la pensée de Sri Aurobindo) et l’attitude qu’il est amené à adopter vis-à-vis du phénomène de la création artistique. Dans l’article « Stockhausen ou les métamorphoses de la vitalité créatrice », écrit en 1987 à la demande de la revue Silence, Eloy retrace de manière très synthétique l’itinéraire compositionnel de celui-ci, mettant l’accent sur l’aspect dialectique de sa démarche. Jalonné de témoignages de ses rencontres et échanges avec Stockhausen, Eloy y développe des réflexions approfondies sur les questions relatives à la temporalité, à l’oralité, ainsi qu’aux chocs des civilisations occidentale et extrême-orientale.
Plus récemment, dans Uni-modernité contre pluri-modernités (2005), qui comprend notamment un entretien présenté et commenté par Avaera et Makiko, le compositeur fait le point sur sa situation en France, pays qui reste dominé par un centralisme culturel paralysant. Par delà toute prise de position polémique, Eloy revient sur ce qu’ont écrit à son propos Jean-Noël von der Weid dans La musique du XXe siècle, Célestin Deliège dans Cinquante ans de modernité musicale : de Darmstadt à l’Ircam, et Marie-Claire Mussat dans Trajectoires de la musique au XXe siècle, dénonçant au passage la vision dogmatique étroite, unidirectionnelle, de certains musicologues qui ont tendance à manipuler l’information et à schématiser de manière somme toute restrictive la réalité pour le moins complexe dans laquelle se déploie la création musicale d’aujourd’hui, confrontée notamment aux développements des nouvelles technologies. Pour sa part, le compositeur se prononce en faveur d’une démarche plurielle et multiculturelle susceptible de refléter les nécessaires apports et interactions d’autres courants de civilisation que le nôtre.
Jean-Yves BOSSEUR
08/10/2017

prénom | Jean-Claude |
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nom | Eloy |
année de naissance | 1938 |
identique à | http://data.bnf.fr/13893654/jean-claude_eloy/ |