Jean-Claude RISSET (1938-2016)
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Les écrits de Jean-Claude Risset constituent une somme de plus de 130 textes, rédigés au cours d’une période qui s’étend du milieu des années 1960, jusqu’à son décès en 2016. Peu de ses contemporains ont autant pris la plume, surtout pour aborder des sujets au-delà de leurs œuvres personnelles. Ainsi, on peut rapprocher ce corpus de ceux de Nono, Dufourt, Mâche, mais surtout de Boulez, avec lequel Risset partage les valeurs d’apprentissage, d’artisanat, de métier à posséder.
Toutefois, s’ils sont tous deux compositeurs, Boulez est également un chef d’orchestre de renommée mondiale, alors que Risset est un scientifique, un chercheur qui a travaillé dans de nombreux laboratoires (Bell Labs, IRCAM, LAM) sur la question de la synthèse sonore, de l’ordinateur et de l’usage du numérique. Ainsi, Boulez parle de la technique de composition sérielle, se situe à la suite de Webern et Stravinski, tient une correspondance assidue avec Cage et Stockhausen, évoque le métier de chef d’orchestre, l’organisation institutionnelle de la musique, et publie les cours qu’il dispense au Collège de France. De son côté, Risset rend compte de ses travaux de recherche sur la synthèse du son numérique et la perception, se situe dans la filiation de l’art-science de Varèse, dresse le portrait de ceux qu’il qualifie de « pionniers et explorateurs du matériau musical » (Schaeffer, Mathews, Chowning, Vaggione, Tenney, Varèse), s’intéresse à la notion de chaos.
Les premiers écrits de Risset sur la musique remontent à son premier séjour aux Bell Laboratories (Murray Hill, New Jersey) entre 1964 et 1965. Le milieu scientifique américain est très enclin à partager et diffuser l’information et les résultats des recherches. C’est d’ailleurs par le biais de la publication que Risset avait pris connaissance des travaux de Max Mathews aux Bell Laboratories et avait décidé de le rejoindre, puis de ceux, complémentaires, de John Chowning, invité à s’associer à eux.
Mais l’écriture est aussi le moyen de défendre une idée, une vision, une intuition, et de la communiquer à un public plus large, au-delà de la communauté scientifique. Car Risset est également un compositeur qui entend utiliser et voir utiliser sa recherche dans la création musicale. C’est pourquoi il réalise un catalogue de sons synthétisés par ordinateur, qui a cette particularité de consigner sur papier une description physique des paramètres desdits sons, afin de pouvoir les reconstituer à volonté à l’aide de logiciels tels que Music 5, et d’y adjoindre le résultat sonore sur un support audio.
De retour en France qui accuse un certain retard quant à l’usage du numérique et de l’ordinateur en musique, Risset va devoir démontrer quelle est l’importance de ces outils. Lors du colloque « Musique et technologie » de l’UNESCO à Stockholm en 1970, Pierre Schaeffer affichera son hostilité vis-à-vis de l’ordinateur, qu’il considère comme une simple machine à calculer (computer), mais révèle aussi son intérêt pour les travaux présentés par Risset (« Synthèse des sons par ordinateur », 1970 – « Pierre Schaeffer et l’ordinateur », 2008), au point de l’inviter à intervenir dans sa classe d’électro-acoustique au Conservatoire de Paris. Boulez sollicite également son expertise pour la mise en œuvre de l’IRCAM, et lui confie la direction du département « Ordinateur » (cf. « Musique et Informatique », 1975, dans le premier livre publié par l’IRCAM).
Les écrits de Risset sont très divers : rapports et bilans de recherche, articles d’encyclopédies, publications dans des revues scientifiques, retranscriptions de cours ou de conférences, actes de colloques, préfaces d’ouvrages. Quelques rares textes très techniques nécessitent certaines connaissances en acoustique et en mathématiques. Il s’agit essentiellement de notes présentées à l’Académie des Sciences au milieu des années soixante. Mais Risset écrit avant tout à l’attention des compositeurs et des musiciens. Son but n’est pas de donner le détail scientifique, mais les résultats généraux, leur situation dans le monde musical et surtout les perspectives artistiques qu’ils offrent.
Du point de vue de la science, de la programmation informatique, de la physique et de la psycho-acoustique, on pourrait donc parler de vulgarisation (mais dans un sens noble), Risset souhaitant rendre ces domaines accessibles aux compositeurs, qui n’ont pas forcément toutes les compétences nécessaires pour aborder ces sujets. En revanche, le lecteur doit posséder une certaine culture de la musique occidentale, notamment contemporaine, et une bonne connaissance des œuvres de quelques compositeurs importants (Varèse, Schaeffer, Boulez, Stockhausen, Xenakis, Ligeti ou les spectraux).
Risset traite régulièrement de la composition du son à l’aide de l’ordinateur et de son impact sur la création, notamment quant à la perception et la psycho-acoustique (« Music is meant to be heard: psychoacoustics is central to electronic and computer music », 2003), aux illusions et paradoxes sonores (« Les illusions auditives », 1979). De même, il insiste beaucoup sur la prise de conscience du caractère évolutif du son, ce qu’il appelle « la nouvelle acoustique ». Il approfondit l’étude du son et convient qu’il s’agit d’un phénomène très complexe, d’où son intérêt croissant pour les théories du chaos (« Temps, complexité, chaos et fractals dans la musique et le son calculé », inédit, 1994). Les œuvres de Risset mettent en application ses travaux, et à ce titre, sont souvent citées en exemple. Toutefois, ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt-dix qu’il commence à rédiger des articles intégralement consacrés à sa musique et à ses intérêts artistiques personnels. Au début du XXIe siècle, il se met également à dresser des portraits de pionniers du son numérique, le plus souvent pour les « portraits polychromes » de l’INA/GRM ou des actes de colloques. Le scientifique devient musicologue.
Cela se ressent au contenu des articles mais aussi au style de rédaction, que ce soit en français ou en anglais. Dans ses premiers textes, Risset s’exprime de manière formelle et impersonnelle, comme un observateur rigoureux et méthodique – attitude sans doute héritée de son séjour aux États-Unis. Puis, au fur et à mesure qu’il utilise ses recherches dans ses œuvres, son écriture devient plus fluide, et le compositeur parle plus souvent à la première personne du singulier (« Problèmes d’analyse : quelques clés pour mes premières pièces numériques, Little Boy et Mutations » 1997 – « Why do I use the computer in my music? » 1998).
Publiés dans de nombreuses revues françaises ou américaines, des actes de colloques, des rapports, etc., la plupart de ces textes, surtout pour les plus anciens, ne sont plus disponibles aujourd’hui. On pourra en trouver d’autres dans des bibliothèques universitaires ou des centres de recherche spécialisés en France ou aux États-Unis. Ils sont pourtant essentiels pour appréhender l’œuvre de Risset, l’historique et le contexte d’émergence des pratiques du numérique dans la musique « savante », et entamer une réflexion sur la vie numérique, entre le réel d’une part et le virtuel qui envahit notre société de manière exponentielle. C’est pourquoi le compositeur a entrepris de réunir ces textes dans une anthologie avec le soutien de Márta Grabócz et du GREAM de Strasbourg. Un premier volume, Composer le son – Repères d’une exploration du monde sonore numérique, est paru aux éditions Hermann en 2014.
Olivier CLASS
11/07/2017
prénom | Jean-Claude |
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nom | RISSET |
année de naissance | 1938 |
année de décès | 2016 |
identique à | http://data.bnf.fr/search?term=Jean-Claude+RISSET |
Publications (3)
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