L'art du chant appliqué au piano
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Tout au long de sa carrière, Sigismund Thalberg fut admiré pour sa technique dite « des trois mains », un procédé qui conjuguait les deux éléments clés de l’esthétique du piano romantique : le goût pour la difficulté vaincue et l’amour du chant. Ainsi, si sa réputation se fondait à première vue essentiellement sur son adresse manuelle, dont témoigne le portait-charge de Dantan qui lui prête vingt doigts, il n’en était pas moins apprécié pour la qualité vocale de son jeu et le caractère chantant qu’il sut donner au piano. De fait, Thalberg était persuadé de la primauté de la vocalité dans l’art musical et s’attacha à illustrer le caractère éminemment vocal du jeu pianistique dans son Art du chant appliqué au piano.
Paru à l’apogée de la carrière du pianiste, ce recueil fait appel à des arrangements d’extraits d’opéra et de mélodies de chambre afin de transposer les qualités de la musique vocale à l’écriture pianistique. En illustrant les procédés qui avaient assuré au virtuose une célébrité européenne, L’Art du chant appliqué au piano vise à initier les jeunes pianistes à la maîtrise de sa technique pianistique et de son style. Si le choix éditorial de différencier la mélodie et l’accompagnement en imprimant la première en caractères plus grands trahit une intention pédagogique, celle-ci est surtout explicitée dans la brève préface de deux pages rédigée par Thalberg lui-même et placée en tête de l’ouvrage. Les douze préceptes qu’elle recèle visent en effet à favoriser l’obtention d’une sonorité chantante sur un instrument qui, par sa nature, ne peut pas tenir les sons. Thalberg se proposait par ailleurs de développer ces « règles de l’art de bien chanter » et de publier une véritable méthode, qui aurait dû faire suite aux deux premiers recueils de l’Art du chant appliqué au piano ; il envisageait également de donner des « cours spéciaux » d’interprétation musicale, qui auraient fourni une illustration pratique de ces préceptes. Aucun de ces deux projets ne se réalisa et la préface de l’Art du chant demeure l’un des rares témoignages directs de l’art d’un des plus grands virtuoses du xixe siècle.
Les recommandations que Thalberg adresse aux pianistes concernent tant des aspects techniques que des questions de goût. D’une façon générale, il préconise un jeu souple car, selon lui, seule la souplesse permet d’obtenir une belle sonorité : ainsi, écrit-il, le pianiste doit avoir « dans l’avant-bras, le poignet et les doigts autant de souplesse et d’inflexions diverses qu’un habile chanteur en possède dans la voix ». Pour obtenir une telle variété sonore, Thalberg conseille d’adapter le toucher à la qualité du son que l’on veut tirer de l’instrument : pour les chants nobles, il recommande d’attaquer les touches de très près, en les pressant avec vigueur mais sans jamais frapper ; pour des chants doux, il conseille au contraire de « pétrir le clavier, le fouler avec une main désossée et des doigts de velours ». En ayant toujours comme référence l’art vocal, Thalberg estime que l’emploi des pédales est indispensable pour produire l’illusion des sons prolongés et enflés, mais il n’en préconise pas moins un travail poussé pour obtenir un bon legato à travers les doigts et notamment par les doigtés de substitution.
À cette approche rigoureuse de la technique pianistique répond une conception sobre du style d’interprétation. Aussi, le virtuose autrichien s’insurge-t-il contre l’utilisation excessive de ce que nous appelons aujourd’hui le rubato, c’est-à-dire la pratique de retarder la note de la mélodie en la frappant après avoir joué la note de la basse. Un tel usage d’exécution était assez répandu à l’époque, mais Thalberg le considère comme « ridicule et de mauvais goût » et ne l’admet que de manière discrète et dans les mélodies lentes. D’autres de ses recommandations vont à l’encontre d’une certaine conception de la virtuosité, assimilée à la seule difficulté d’exécution. Ainsi, il considère qu’ « en général on joue trop vite » et que « jouer trop vite est un défaut capital ». De fait, pour lui, une fugue à trois ou quatre voix bien exécutée révèle le talent bien davantage que ne le ferait le morceau le plus brillant – des convictions clairement liées à sa formation « sérieuse » à Vienne auprès auprès de Simon Sechter.
Dans sa version finale, L’Art du chant appliqué au piano se compose de quatre séries de six transcriptions chacune, publiées simultanément à Paris chez Heugel, à Leipzig chez Breitkopf & Härtel, à Londres chez Cramer, Beale & Co., et à Milan chez Lucca. Initialement prévue pour le 15 mai 1853, la parution de la première livraison fut retardée en raison de questions de droits d’auteur : la protection étant plus stricte en Allemagne, Thalberg dut remplacer ses transcriptions d’œuvres de Weber, Mercadante et Meyerbeer par celles d’œuvres de Pergolèse, Stradella et Rossini. Les deux premières séries sortirent ainsi en juin et en novembre 1853. La troisième et la quatrième série ne parurent que plusieurs années plus tard, en juin 1862 et en mars 1863, à l’occasion des concerts couronnés de succès que Thalberg donna à Paris après s’être retiré à Naples et avoir abandonné sa carrière de virtuose itinérant. Le succès rencontré par l’ouvrage est confirmé à la fois par des éditions pirates, comme celle publiée à Naples par le Stabilimento musicale partenopeo en 1855, et par des arrangements et des transcriptions publiés en 1856 par l’éditeur Heugel. Celui-ci chargea Carl Czerny de réaliser une édition simplifiée pour piano à deux mains ainsi qu’une transcription concertante pour piano à quatre mains des deux premières séries, qui fut approuvée par un comité d'enseignants comprenant, entre autres, Henri Herz, Antoine Marmontel, Felix Godefroid, Henri Ravina et Camille Stamaty. Après la mort de Czerny, Heugel se tourna vers Bizet, qui réalisa la transcription simplifiée et celle pour piano à quatre mains de la troisième et de la quatrième séries de l’ouvrage (1867-1868).
Rosalba AGRESTA
27/03/2023
éditions numérisées | |
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genre | Méthode |
éditeur | Heugel |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1853 |
compositeur |