Les neurones enchantés. Le cerveau et la musique
Télécharger le PDF de la notice
Les neurones enchantés est une conversation à trois entre le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux et les compositeurs Pierre Boulez et Philippe Manoury, consacrée à la musique et aux manières dont le cerveau l’appréhende. La perspective générale posée par Changeux est une tentative de neuroscience de la création musicale : les progrès scientifiques récents dans la compréhension du fonctionnement du cerveau permettent-ils d’améliorer la compréhension du processus de création, singulièrement de chefs d’œuvre comme ceux composés par Boulez ?
Mais comment élaborer des connaissances communes entre des disciplines aussi éloignées que la neurobiologie et la composition musicale ? La conversation entre les auteurs est d’abord un effort épistémologique, mené dans chaque chapitre à l’initiative de Changeux. Ce dernier, qui a étudié la composition auprès d’André Jolivet, se transporte du côté de la musique et de sa création, dont il vise des caractérisations objectives, en s’appuyant principalement sur la tradition de la musique comme science remontant à l’Antiquité. En réponse, les deux compositeurs, Boulez et Manoury, évoquent et précisent autant que possible leur activité compositionnelle en résistant souvent à la démarche modélisatrice et réductionniste de Changeux, mais aussi en affirmant des approches contemporaines de la composition face à des conceptions extrêmement classiques. Dans ce dialogue, Manoury intervient souvent pour amener un point de vue tout à la fois expert et extérieur sur la musique de Boulez, ce qui permet de développer et fluidifier les échanges.
Ces dialogues sont construits en sept chapitres aux thématiques assez larges, chacun rassemblant un nombre important de sous-thématiques. À l’initiative de Changeux, les deux premiers chapitres intitulés « Qu’est-ce que la musique ? » et « Les paradoxes du ‘beau’ et les règles de l’art » tentent de caractériser la musique de manière classique, en partant de la définition de Jean-Jacques Rousseau, et selon un point de vue avant tout esthétique ; Boulez situe les problématiques sur le terrain de la composition contemporaine, en évoquant la genèse d’œuvres comme Le Marteau sans maître ou Répons ; les questions de Manoury lui permettent de préciser son propos.
Dans le troisième chapitre « De l’oreille au cerveau : physiologie de la musique », Changeux et Boulez s’accordent à concevoir la perception musicale comme un apprentissage, et l’écoute de la musique comme une reconstruction mentale. Le quatrième chapitre se situe au cœur de la problématique, en établissant un parallèle entre les évolutions épigénétiques du cerveau de l’être humain supposées suivre selon Changeux un schéma darwinien de type variation-sélection, et le processus de composition tel que le décrit Boulez dans son propre cas, entre profusion initiale et synthèse de données éparses.
Le cinquième chapitre se penche sur la part de conscient et de non-conscient dans l’invention musicale ; alors que Changeux évoque des expériences neurologiques permettant de séparer des circuits selon le niveau de conscience, Boulez situe le non-conscient à deux endroits : d’une part, l’accident d’écriture que le compositeur suscite sans le connaître d’avance ; d’autre part, l’intrusion du passé, comme matériau emmagasiné dans la mémoire à long terme et revenant sous une forme transformée.
Intitulé « Création musicale et création scientifique », le sixième chapitre aborde la question des influences d’autres disciplines comme les leçons de Paul Klee au Bauhaus pour Boulez ou les modèles probabilistes pour Manoury (et pour Changeux), comme contribution à la réflexion théorique. La notion de modèle y joue un rôle très différent selon que l’on se situe du côté des sciences ou de celui de la musique ; et même dans la composition musicale, chaque créateur l’aborde différemment (il n’est que de comparer Xenakis et Boulez).
Le septième et dernier chapitre s’intitule « Apprendre la musique ». Il fait largement place aux observations neurologiques développées par Changeux concernant le développement du cerveau des enfants jusqu’à l’adolescence, et leur corrélation avec le développement d’aptitudes particulières, notamment musicales. Boulez et Manoury sont alors amenés à commenter ces avancées des neurosciences à la source de leur expérience de compositeurs, et de chef d’orchestre pour le premier. Au moment de conclure l’ouvrage, Changeux porte un regard optimiste sur l’éducation et la pratique musicale comme vecteurs de réconciliation dans un monde marqué par les conflits, alors que Boulez reste réservé sur le rôle potentiel de la musique comme source d’harmonie universelle.
Alain BONARDI
22/07/2023
genre | Essai |
---|---|
éditeur | Odile Jacob |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 2014 |
nombre de pages | 249 |
langue originale | français |
traductions | |
compositeur | |
auteur |