Allegro Appassionato
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Comme Ma Vie heureuse de Darius Milhaud (1973) et Quand j’étais là de Georges Auric, (1979), Allegro Appassionato appartient au genre des autobiographies de compositeurs écrites au soir de leur vie. Celle de Wiéner, caractérisée par un ton à la fois sérieux et débonnaire, n’a pourtant rien de crépusculaire. Pierre Belfond, son éditeur et commanditaire, souhaitait à travers elle mieux faire connaître un compositeur souvent réduit à la musique de Touchez pas au grisbi.
L’intérêt d’Allegro Appassionato est double. Documentaire, tout d’abord, puisque le pianiste et compositeur y revient sur les différentes étapes de son parcours, sans les segmenter en chapitres, mais en les illustrant par des documents issus de ses archives personnelles (partitions manuscrites, programmes de concert, articles de presse ou encore photographies personnelles). Sont passées en revue son enfance et sa formation musicale au Conservatoire de Paris, où naîtra l’amitié d’une vie avec Darius Milhaud (p. 11) ; ses débuts tonitruants dans l’avant‑garde du monde musical parisien au lendemain de la Première Guerre mondiale, marqués par de nombreuses collaborations avec Jean Cocteau et le Groupe des Six, mais aussi par une rencontre, décisive pour lui, avec le jazz (p. 43) ; sa rencontre avec Clément Doucet et la carrière fulgurante du duo de pianistes qu’ils forment du milieu de 1924 à 1940 (p. 85) ; ses débuts dans le domaine de la musique de film en 1932 (p. 134) ; son activité pendant la Seconde Guerre mondiale (p. 157) et la chronique de ses activités de compositeur pour la radio, le cinéma, la télévision et (plus rarement) le concert après 1945 (p. 171). Ponctuellement, le mémorialiste se fait historien et critique. D’intéressants passages sont ainsi consacrés à l’histoire du Bœuf sur le toit (p. 43), à la gloire de Satie (p. 98), on encore au rôle que devrait jouer la musique dans un film (p. 139).
Mais la singularité la plus remarquable de l’ouvrage de Wiéner réside dans la conception de la musique qu’il y développe. Fidèle à celle qu’il exposait déjà en 1928 dans l’un de ses textes les plus importants, « Le Jazz et la musique » (Conferencia, vol. 22, n° 12, 5 juin 1928, p. 623‑631), elle n’est pas sans lien avec son engagement au sein du Parti communiste, indéfectible du milieu des années 1920 à sa mort. Cette conception est démocratique et sociale, en même temps qu’élitiste. Démocratique, parce que la fonction première de la musique est d’émouvoir, et pour cela de demeurer accessible au plus grand nombre. D’où l’importance que Wiéner accorde à la chanson et son mépris pour les cloisonnements des genres musicaux. Sociale, car, à une époque où « la musique entre chez tout le monde » (p. 206) par la radio puis la télévision, elle joue un rôle fédérateur pour la jeunesse, toute classe sociale confondue. Élitiste enfin, car souhaiter une musique accessible à tous ne signifie pas renoncer à distinguer les « Dons » musicaux ou refuser de reconnaître une hiérarchie des « Talents » (p. 207). Cette axiologie incite Wiéner à se détourner des « ingénieurs » que sont selon lui Boulez, Stockhausen et Xenakis, et à privilégier un autre canon de la musique contemporaine, composé d’Henri Dutilleux, Olivier Messiaen, Betsy Jolas, mais aussi de Léo Ferré et des Pink Floyd.
Allegro Appassionato n’a pas fait date dans l’histoire des écrits de compositeurs. Sans doute parce qu’en 1978, Wiéner se tenait à l’écart de l’avant‑garde musicale ; sans doute aussi parce que ses écrits manifestent une personnalité peu encline au bruit de la polémique ou à la séduction des systèmes. L’obscurité relative dans laquelle demeure son ouvrage est à peine amoindrie par les quelques citations qu’en font, avec toutes les précautions méthodologiques requises par l’usage d’écrits rédigés ex post, les spécialistes de la musique française au début des années 1920. Son témoignage pourrait toutefois servir de matériau à une (contre‑)histoire encore à faire de la musique en France après 1945.
Martin GUERPIN
19/06/2020
genre | Autobiographie (Mémoires) |
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éditeur | Belfond |
lieu d'édition | Paris |
années d'édition | 1978 |
nombre de pages | 222 |
langue originale | français |
compositeur |